L’IRISA veut démocratiser l’intelligence artificielle pour l’imagerie satellite

5 décembre 2022

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Les solutions d’observation de la Terre sont utilisées pour une multitude d’applications, comme l’étude et la compréhension des activités humaines (développement urbain, sécurité maritime, pratiques agricoles) ou naturelles (recensements écologiques, cartographies des forêts, catastrophes naturelles) de notre planète. Les besoins sont tels que les opérateurs de missions d’observation sont encouragés à produire un nombre toujours plus grand de données, à l’aide d’avions, de drones et, bien entendu, de satellites. Associée au perfectionnement des capteurs, type imagerie hyperspectrale (HSI), télédétection par laser (LiDAR) ou radar à synthèse d’ouverture (SAR), l’imagerie satellitaire progresse rapidement. Le marché de l’imagerie satellite devrait ainsi progresser de 15 % par an d’ici à 2030, pour représenter alors un volume de plus de 60 milliards de dollars.

Cette effervescence pose toutefois des problèmes d’exploitation. Les données générées sont de plus en plus massives, de l’ordre de 7 pétaoctets par an. En prime, elles restent peu structurées et hétérogènes. C’est sur cette problématique que le chercheur Sébastien Lefèvre, fondateur et ancien responsable de l’équipe OBELIX (Observation de l’environnement par imagerie complexe) au sein du département Signal, Image, Langage d’IRISA, se penche depuis plusieurs années. À l’UMR aux huit tutelles (CentraleSupélec, CNRS, ENS Rennes, IMT Atlantique, Inria, INSA Rennes, Université Bretagne Sud, Université de Rennes 1), le chercheur a développé les activités de sciences de données appliquées à l’observation de la la planète et de l’environnement.

 

Ses travaux s’attaquent aux nombreux obstacles rencontrés dans l’utilisation de données d’observation de la Terre. Les solutions modernes en vision par ordinateur, basées sur les réseaux de neurones profonds faisant aujourd’hui référence en intelligence artificielle, présentent des limites lorsqu’elles sont appliquées à des observations depuis l’espace. L’équipe de Sébastien Lefèvre a, par exemple, travaillé sur une solution de cartographie des forêts en Europe. « Nous devions réaliser un algorithme susceptible de fonctionner dans toute l’Europe, depuis les espèces présentées en Scandinavie jusqu’au pourtour méditerranéen », explique-t-il. Les solutions algorithmiques ne sont souvent pas capables de traiter certaines données. C’est le cas des comparaisons entre les nuages de points, qui seront possibles avec la future mission Co3D du CNES. Les images satellites peuvent enfin être « bruitées », comme lorsque la couverture nuageuse masque certaines zones de l’image.

 

Sébastien Lefèvre développe des algorithmes plus précis, à base de deep learning, capables de reconnaître des petites formes, comme des animaux marins dans l’eau ou à la surface. Lorsque cela est possible, il essaie de croiser différentes sources de données, ce qui permet d’observer plus finement les phénomènes étudiés. Pour cartographier la végétation, « nous pouvons croiser des images en couleurs avec des nuages de points 3D acquis par drone, ou encore fusionner des images acquises au sol avec des représentations satellites », précise-t-il.

 

Ces compétences ont ainsi attiré les grands acteurs du spatial. Le chercheur dirige ainsi une thèse financée par le CNES et la société Magellium, afin d’accompagner la mise en orbite d’une nouvelle constellation spatiale intitulée Co3D. Dans ce contexte, l’objectif est d’élaborer des algorithmes permettant de détecter des évolutions entre des nuages de points générés à l’aide de plusieurs satellites synchronisés pour observer un même site à des moments différents. « La détection de changements entre deux images est facile, mais elle s’avère plus complexe entre deux nuages de points. Les points sont répartis aléatoirement à la surface des objets, contrairement aux pixels qui sont organisés de façon régulière. Pourtant, les applications sont nombreuses, par exemple pour repérer un effondrement de falaise ou un affaissement de terrain » explique Sébastien Lefèvre. Le projet a permis de développer des modèles spécifiques de réseaux de neurones, capables de comparer les nuages de points.

 

Le chercheur a également travaillé sur un projet d’observation de la mégafaune marine pour le suivi environnemental autour des parcs éoliens offshores. « Ces suivis sont effectués pour l’instant via des survols par avions. Les images sont ensuite analysées par l’homme » explique Sébastien Lefèvre. Le projet SEMMACAPE lancé en 2019 et cofinancé par l’Ademe mobilise, en plus d’IRISA, Ifremer, France Energies Marines, l’Office français de la biodiversité et l’entreprise rennaise Wipsea. « Notre ambition est de proposer une solution d’observation automatique d’images aériennes, capable notamment de reconnaître les espèces aussi bien que pourraient le faire des naturalistes, mais pouvant être déployée sur de grandes zones d’études ». Dans ce projet, IRISA a accompagné Wipsea pour entrainer les modèles d’IA à reconnaître les différentes espèces. « A l’avenir, nous souhaitons développer des algorithmes capables d’apprendre de manière autonome » prévoit Sébastien Lefèvre.